Quels changements à venir pour les éléphants du tourisme en Thaïlande ?
La façon dont les éléphants sont utilisés dans l’industrie du tourisme, en Thaïlande et ailleurs, est un sujet de débats intenses sur leur bien-être et leurs conditions de vie depuis plusieurs années. Avec au coeur de la polémique surtout, les balades à dos d’éléphants. En collaboration avec de nombreux acteurs du secteur, experts et vétérinaires notamment, l’Autorité Touristique de Thaïlande (TAT) a lancé un programme appelé « Elephant Care Tourism » pour « proposer un tourisme qui prend (plus) soin des éléphants ». J’ai été invité à un voyage de 3 jours autour de ce projet pendant lequel on a pu poser toutes les questions, même celles qui fâchent. Voici un compte-rendu de ce qui a été dit.
Histoire des éléphants domestiques en Thaïlande
Pour mieux comprendre le contexte, il est important de faire un rapide resumé de l’histoire de la domestication des éléphants en Thaïlande. Elle remonte à plusieurs siècles avec les éléphants utilisés sur les champs de batailles puis plus récemment leur emploi dans l’exploitation et le commerce du bois de teck pour trainer et pousser les troncs.
En 1989, une loi a été adoptée pour bannir cette activité responsable d’une déforestation massive. La triste ironie était que l’homme faisait participer les éléphants domestiques à la destruction de l’habitat de leurs congénères sauvages.
Mais cette interdiction a privé de nombreux propriétaires des ressources financières nécessaires pour nourrir leurs animaux. On a alors vu des éléphants et leurs mahouts (personnes qui s’en occupent) errer dans les rues des villes pour mendier. Il fallait alors trouver une solution pour leur permettre à nouveau de gagner de quoi s’occuper de ces géants à l’appétit proportionnel à leur taille. C’est alors que le tourisme avec les éléphants a pris son essor. En proposant d’abord des balades sur leur dos, puis des numéros les faisant peindre, jouer au football, au basket, se tenir assis, debout sur les pattes arrières…
Les touristes affluant, les camps se sont multipliés passant de 22 à 223 entre 1995 et 2019. Mais petit à petit, sous l’impulsion des associations et d’actions individuelles comme celle de Lek Chailert fondatrice de l’Elephant Nature Park près de Chiang Mai, un mouvement dénonçant les traitements et conditions de vie des éléphants du tourisme a pris de plus en plus d’ampleur et changé progressivement la demande obligeant l’offre à s’adapter. De plus en plus de camps ont changé leur nom, se sont auto-proclamés « sanctuaires » ou « éthiques » et ont arrêté les rides (balades sur le dos des éléphants), les spectacles et ne les ont plus enchainés la journée pour proposer des formules touristiques à la journée ou demie journée pour en prendre soin avec en général un moment pour les nourrir, les baigner et leur préparer et donner des compléments alimentaires.
Elephants domestiques vs éléphants sauvages
Le dernier recensement faisait état de 3.783 éléphants domestiques en Thaïlande dont 2.673 sont utilisés pour le tourisme pour une population d’éléphants sauvages légèrement inférieure (estimées entre 3.100 et 3.600).
Gestion administrative des éléphants domestiques de Thaïlande
Tous les éléphants domestiques en Thaïlande ont un « pink book » (livret rose) qui est un peu leur passeport, avec leur empreinte génétique et le numéro de la puce qui leur a été injectée. Il y a un contrôle bi-annuel par les autorités de le conformité entre ce carnet et l’éléphant.
Tout déplacement d’un éléphant doit être signalé aux autorités. Il existe 7 hôpitaux qui leur sont dédiés dans le pays (un devrait aussi ouvrir prochainement à Chiang Mai) et sont gratuits. Nous avons visité celui du Thai Elephant Conservation Center de Lampang le premier jour. Tous ont des unités mobiles d’intervention gratuites qui peuvent être envoyées partout dans le pays et jouent un rôle primordial dans les soins apportés aux éléphants domestiques de Thaïlande.
Le programme Elephant Care Tourism
C’est dans ce contexte d’une image de plus en plus dégradée du tourisme autour des éléphants que l’Autorité Touristique de Thaïlande (TAT) a décidé de lancer une initiative appelée « Elephant Care Tourism » mais de quoi s’agit-il exactement ?
Le but est avant tout de rassembler toutes les parties pour définir des pratiques et des règles améliorant le bien-être et la protection des éléphants domestiqués, la TAT jouant le rôle de facilitateur mais n’étant pas décisionnaire sur les actions à mener. Leur stratégie s’articule autour de 3 C:
- Communitation pour « donner les vraies informations »
- Collaboration entre tous les acteurs, les experts, associations, agents de voyage et organismes gouvernementaux
- Compromis entre « les croyances, la culture et les façons de penser et de faire modernes » et entre tous les standards que chacun est prêt à accepter.
Il s’agit donc surtout d’enclencher une dynamique, une sorte de Grenelle des éléphants, dont il devrait découler des règles et une charte (probablement courant de l’année prochaine) que les camps devront signer. Il est trop tôt donc pour énumérer exactement les décisions et régulations qui en découleront mais on peut déjà voir se dégager des tendances dans les réponses et positions de nos interlocuteurs pendant ces trois jours.
Quel avenir pour les éléphants du tourisme en Thaïlande ?
Lors de ce trip, nous avons rencontré des experts et vétérinaires, nous avons visités deux camps et dans le dernier avons eu une grande table ronde de questions/réponses avec le propriétaire, deux vétérinaires spécialisés de l’université de Chiang Mai, Dr Pakkanut Bansiddhi et Dr Khajornpat Boonprasert, ainsi qu’un ancien directeur de l’hôpital des éléphants de Krabi.
Etude sur le stress des éléphants captifs
Mais avant cela, la docteur Pakkanut Bansiddhi nous a présenté les résultats d’une étude d’un an sur le niveau de stress dans diverses situations menée sur 122 éléphants captifs en mesurant leur taux de glucocorticoïdes souvent surnommée « l’hormone du stress ». Ce serait trop long de tout détailler mais voici les principales conclusions de leurs recherches (je ne fais que les lister):
- les éléphants qui marchent le plus ont un niveau de stress plus faible et sont moins sujets à l’obésité
- les éléphants sont plus stressés pendant la haute saison touristique que pendant la basse saison
- les éléphants attachés dans la forêt sont moins stressés que ceux attachés dans le camp
- les chaînes ne sont pas un facteur de stress
Ces différents points et la proportion à l’obésité de beaucoup d’éléphants des camps vont intervenir dans les réponses qui ont ensuite été faites à nos questions.
Dr Pakkanut Bansiddhi nous a bien précisé qu’il s’agissait là de premiers résultats et que d’autres recherches seraient menées.
Questions / réponses sur les éléphants en Thaïlande
Les balades à dos d’éléphants
Les vétérinaires nous ont affirmé que les éléphants pouvaient porter jusqu’à 20% de leur poids notamment grâce à la densité de leur structure osseuse. Tout en précisant qu’il faut choisir des éléphants qui sont en bonnes conditions physiques notamment pas trop maigres. Ils ont aussi reconnu qu’il est important d’alterner balades avec les touristes sur leur dos et périodes de repos.
Je suis intervenu pour faire remarquer que plus que leur capacité ou non à porter des touristes, c’est le dressage qu’on imagine qu’ils doivent subir pour pouvoir accepter n’importe qui sur leur dos en toute sécurité qui explique que de plus en plus de personnes ne veulent plus participer à cette activité.
Le Dr Khajornpat Boonprasert a répondu que tous les éléphants domestiques de Thaïlande ont déjà été dressés et qu’ils doivent l’être quoiqu’il arrive comme c’est fait depuis des siècles en Thaïlande pour qu’ils puissent vivre au milieu des humains en toute sécurité. De leurs recherches (voir plus haut), ils ont également déduit que les éléphants qui baladaient des touristes étaient moins stressés (il a notamment indiqué que le bain avec plusieurs personnes autour est, d’après leur étude, plus stressant pour l’animal que de balader des gens sur son dos). Ils sont aussi en meilleure forme physique car ont plus d’activité. C’est d’ailleurs le principal argument pour ne pas interdire les balades à dos d’éléphants, interdiction qui ne semble pas non plus à l’ordre du jour, mais seulement la réguler en définissant un poids maximum, en remplaçant les nacelles en bois par des nacelles métalliques plus légères, en faisant des nacelles sur mesures adaptées à la morphologie de chaque éléphant et définissant une rotation balades – repos sans nacelle. Après, monter dessus n’est pas indispensable, me semble-t-il, marcher dans la jungle à côté des éléphants comme c’est proposé dans certains endroits est aussi une possibilité pour leur permettre d’avoir suffisamment d’activité physique.
« Soit, tous les éléphants sont de toute façon déjà entrainés mais si les balades à dos d’éléphant continuent, cela signifie qu’il a falloir dresser les bébés éléphants à leur tour pour qu’ils puissent aussi le faire et ça continuera indéfiniment » ai-je alors remarqué.
Ce à quoi, il m’a été répondu que quoiqu’il arrive, les éléphants captifs seront entrainés pour vivre avec les humains, les porter sur leur dos, obéir à des ordres ect… que les balades de touristes sur leur dos continuent ou s’arrêtent.
C’est d’ailleurs au final ce que je retiens le plus de ces 3 jours: tout éléphant domestique subira un dressage quoiqu’il arrive. Il est inenvisageable pour tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés qu’il en soit autrement. Reste à savoir exactement en quoi consiste ce dressage. J’ai donc demandé à ce qu’on nous explique en détails comment cet « entrainement de l’éléphant » se faisait. Parce que la seule image qui circule sur internet, c’est le phanjaan (l’éléphant est attaché et subi pendant des heures des coups violents pour « briser son esprit »).
La parole a alors été donnée au propriétaire de la Pattara Elephant Farm qui a indiqué qu’on nous montrerait ça plus tard (en fait on nous a montré comment on les soignait pas comment ils étaient dressés bébés) et a insisté sur le rôle que les éléphants domestiques et les camps jouent dans la conservation de l’espèce. C’est pour ça qu’il encourage les éléphants en pleine santé à se reproduire chez lui avec plusieurs naissances chaque année. Il a aussi dénoncé la « propagande » et « confusion » que l’on trouve sur internet et notamment pointé « 7 mensonges » comme le phanjaan ou la séparation des petits de leur mère pour les dresser plus facilement qui selon lui serviraient des intérêts individuels pour obtenir plus de dons. A chacun de se faire son opinion.
Utilisation du bullhook
Si dans les deux camps que nous avons visités les mahouts n’en avaient ni dans leurs mains ni à leur ceinture, le bannissement de l’utilisation du bullhook (aussi appelé dacco), ce bâton terminé par un crochet pointu, ne semble pas non plus à l’ordre du jour.
Pour la Dr Pakkanut Bansiddhi, « il est impératif que les mahouts soient entrainés à l’utiliser correctement » notamment pour blesser le moins possible l’animal en frappant des zones précises et « l’utilisent seulement en cas de nécessité » mais elle estime qu’il est un outil indispensable.
Réintroduction des éléphants domestiques dans la nature
A noter qu’il existe un programme de réintroduction d’éléphants domestiques dans la nature mais cela ne concerne qu’un petit nombre d’individus et toujours un bébé éléphant (avant qu’il ne soit entrainé), accompagné de sa mère avec évidemment une surveillance des rangers du parc national dans lequel ils sont relâchés. Leurs puces permettent aussi de les traquer facilement.
Mais l’objectif n’est pas de rendre à la nature tous les éléphants domestiques de Thaïlande. Il n’y aurait de toute façon pas assez de place dans les forêts du pays et il y a régulièrement des incidents avec les locaux vivants à proximité.
Ma conclusion
Theerapat Trungprakan, le propriétaire de Pattara Elephant Farm et Président de la Thai Elephant Association, nous a dit que les touristes ont joué un rôle important dans la conservation des éléphants en Thaïlande et continueront à jouer un rôle important. De mon point de vue, ils sont le facteur déterminant de l’avenir qui sera proposé aux éléphants domestiques de Thaïlande car, au final, l’offre s’adapte à la demande.
S’il y a des camps qui proposent des balades à dos d’éléphants, c’est parce qu’il y a des gens qui veulent en faire, s’il y a encore des spectacles de numéros avec des éléphants qui font toutes sortes de tours, c’est parce qu’il y a des gens pour acheter des tickets et si beaucoup de lieux ont abandonné les rides, les chaînes le jour et les bullhooks, c’est parce que beaucoup de touristes, surtout occidentaux, ont boudé les camps qui ont ces pratiques.
Rencontrer les éléphants lors d’un voyage en Thaïlande reste une expérience magique mais le choix de l’endroit et des conditions dans lesquelles vous le faîtes est déterminant. C’est en décidant avec soin de là où vous allez que vous encouragerez un modèle ou un autre. Car s’il y aura toujours des éléphants domestiques en Thaïlande et que l’argent des visites des touristes étrangers est primordial pour donner à leurs gardiens de quoi en prendre bien soin, chacun, touristes compris, a un rôle à jouer pour leur offrir un avenir plus centré sur leur bien-être.
Je vous tiendrai au courant de ce qu’il ressortira de l’initiative « Elephant Care Tourism ». To be continued… comme on dit dans les séries télé américaines.